UNE DESCRIPTION BIBLIOGRAPHIQUE DE L’INSIGNE COLLEGIALE DE SPELONCATO
« Solidement et coquettement assise sur un rocher, au pied duquel on voit encore la fameuse grotte, Spelunca,…, premier refuge de nos pères, poursuivis, chassés de la belle Vallée du Régino, par les Vandales, les Grecs de Bélisaire, les Sarrasins… cette église, dédiée à Saint Michel, jadis Collégiale et puis Collégiale insigne, date du XVIe siècle.»
Ces quelques lignes de Romulus CARLI, conviennent parfaitement pour l’introduction à cette description bibliographique.
Une inscription gravée sur le linteau de la porte principale nous renseigne quant à la date de construction de l’édifice.
François Mariani, l’interprète de la façon suivante :
« Cette inscription, gravée dans la pierre en style gothique, représente la signature du Maestro (M.) Pizino, maître d’oeuvre des travaux de construction de l’église, suivie de leur date d’achèvement en 1509. Le Maestro, dont le nom figure dans le registre des tailles de Speloncato de 1454, était sans doute un ancêtre de Pietro Pizzini*, la graphie évoluant sans cesse. »
Nicolas Matteï, nous explique les circonstances dans lesquelles cette église est promue Collégiale :
« Après le Concile de Trente, …clôturé en 1563, … les bénéfices se voient concentrés. Aux changements de lieux d’habitation des paysans, qui se regroupent d’avantage, correspondent des bénéfices moins éparpillés.
A Speloncato il y avait deux paroisses, celle de Sainte Catherine et Saint Marcel, et celle de Saint Michel archange. Il y avait encore une troisième église, Saint Etienne, dont le bénéfice est incorporé en 1719, à celui de Sainte Catherine.
Les deux bénéfices restant sont regroupés,…, pour former celui, unique, de la nouvelle église édifiée sur l’emplacement de Saint Michel, la collégiale de l’Assomption. Son collège de chanoines compte jusqu’à 14 benefiziati (titulaires des bénéfices*1). »
François Mariani donne quelques détails quant à cette promotion :
« Benedetto XIV, pape de 1740 à 1758, promut « collégiale insigne » l’église Santa Maria Assunta de Speloncato, ainsi appelée suite à la réunion le 6 décembre 1749 des deux paroisses San Michele Arcangelo et Santa Catarina. »
On imagine donc, en cette fin de 18ème siècle, à quel point les offices célébrés en cette église devaient être solennels. Romulus Carli, nous éclaire sur ce point :
« Avant la Révolution, notre Collégiale était administrée par des chanoines toujours assistés par les Religieux du Couvent et les nombreux membres du clergé de Speloncato. Si bien, qu’aux offices, plus de quarante prêtres ou religieux occupaient les places du chœur. »
De plus, l’église a une fonction quasi-sociale dans le village. Nicolas Matteï commente cela, concernant les villages en général, et Speloncato en particulier :
« Des confréries sont fondées dans chaque paroisse ; composées de laïcs, hommes et /ou femmes, elles ont un rôle d’entraide où chacun des membres verse une cotisation annuelle et perçoit un certain nombre de « prestations sociales ».
Des congrégations, formées de religieux exclusivement, s’occupent d’assister les malades, les moribonds, d’enseigner la dottrina (catéchisme) et les rudiments de la lecture et du calcul.
Celle de Saint Philippe de Neri de la collégiale de Speloncato possédait des « ramifications » à Feliceto, Ville di Paraso et Olmi Capella. »
Pour ce qui est de la description de l’église, lisons ce que Romulus Carli, en dit :
« Le parvis, le portail ogival, avec ses colonnes adossées au mur, les deux portes latérales, les Chapiteaux d’ordre composite, le frontispice, forment un ensemble imposant, digne d’une Collégiale insigne.
Détail particulier, les pierres du parvis, des colonnes du portail et des portes, proviennent des anciennes églises de Saint Martin et de Saint Etienne, situées sur le territoire de Speloncato, jadis temples païens, … Ces pierres sont d’une belle couleur ardoise, et très dures, toutes bien taillées et conservées. Un jour ou l’autre, nous pourrions découvrir les carrières disparues. »
Ce commentaire datant de plus d’un siècle, est parfaitement d’actualité, sachant que viennent de s’achever les travaux de pavage du parvis de la Collégiale ; rappelons que 80 % des pierres anciennes ont été réutilisées pour une réalisation du parvis « à l’identique ».
Romulus Carli, mentionne également le travail d’un « maestro falegname*2 » du village :
« Le porche intérieur ainsi que l’orchestre sont l’œuvre magistrale d’un enfant de Speloncato : Antoine-Joseph Saladini. Cet habile artiste est également l’auteur d’une chasse renfermant une croix ancienne, très appréciée des hommes de l’art. »
Nicolas Matteï, dans son ouvrage « Les églises baroques de Corse », nous décrit à son tour la Collégiale :
« L’Assomption de Speloncato ne reprend du modèle bastiais que la disposition des autels. L’irrégularité des travées est la conséquence de la structure de la nef centrale provenant de l’ancien Saint Michel.
La collégiale de l’Assomption montre aujourd’hui de grandes différences par rapport à l’inventaire de 1760. L’implantation des chapelles a totalement été bouleversée. Nos recherches nous ont montré que ces transformations sont consécutives à l’adjonction de deux collatéraux *3 à la nef unique antérieure fin XVIII ème siècle….
Les inventaires, curieusement, ne disent jamais rien des clochers pourtant si présents dans le baroque et le paysage corse, bien plus que dans le reste de l’Europe du temps. Leurs emplacements sont très variables. Ils sont le plus fréquemment accolés au corps de l’église et particulièrement à l’ensemble chœur / abside. C’est le cas pour celui de l’Assomption de Speloncato. »
Observons un schéma, qu’il produisit à l’occasion d’un article dans « Corse Matin », à propos de la Collégiale :
« Le premier souci du collège des chanoines sera d’embellir l’Assomption « pour la plus grande gloire de dieu et le bonheur des hommes ». On démolit l’oratoire de Saint-Antoine-Abbé, côté droit, (en jaune) pour ajouter deux collatéraux (en rose) et on installa d’autres autels latéraux dès 1750/60 pour un résultat prestigieux. »
Un mot quant à l’orientation de l’église.
« Une église prenant la forme d’une croix a son chœur là où serait le Christ et son abside au sommet de la croix. La « tête » de Jésus sera toujours en direction de l’est, de Jérusalem. On dit alors qu’une église est orientée. Cela devrait toujours être le cas, mais, pour des raisons d’urbanisme, par exemple, certaines églises échappent à cette orientation. »
A propos de l’église Saint-Michel, l’orientation n’est donc pas conventionnel ; le chœur est situé vers le Nord. N’est-ce qu’une question d’urbanisme ?
Antoine Massoni, nous permet d’y réfléchir, en commentant la couverture d’un ouvrage archivé dans l’église même :
« Sur la couverture du « Libro della congregazione di San Filippo Neri », on trouve le dessin d’une étoile à cinq branches issue de traits à la plume qui suggèrent le mouvement : l’étoile polaire qui indique la direction par laquelle on communique avec l’au-delà. Cette étoile fut autrefois le guide des pèlerins, des nomades, ou des navigateurs. Elle est aussi dessinée sur un recueil de chœur appartenant au couvent de Tuani ; construit dans la vallée d’E Ville di Paraso, cet édifice est orienté… également… en direction de la grande ourse…
E ville di Paraso signifient les hameaux de la grande ourse. Ce site aurait été choisi par les navigateurs grecs qui auraient trouvé ici la protection de l’étoile polaire, déesse qui guide leurs navires dans la nuit… »
« Le village de Speloncato est donc né, sous la protection des dieux les plus anciens, et sous le signe d’une double appartenance chrétienne (Pieve de San Andrea, et de Tuani). Cette situation privilégiée: sources bénéfiques (*4), richesse agricole exceptionnelle due à l’étendue des deux pieve réunies, donnèrent à Speloncato une aisance qui lui permit d’entretenir deux paroisses (Sainte Catherine et Saint Michel archange), deux confréries (Celle de San’ Antone Abbate, et la confrérie du Rosaire réservée aux femmes), deux couvents (Couvents de Santa Maria di a pace et de Tuani) et une collégiale. »
Un commentaire de Nicolas Matteï, pour finir :
« L’église Saint Simon de Ville di Paraso se découvre, aujourd’hui, comme au XVIIIème siècle, de la route (du sentier autrefois) descendant de la paroisse de Speloncato. Ce chemin était d’autant plus emprunté que Saint Simon est longtemps resté une annexe de Saint Michel de Speloncato et que le village s’appelait alors Ville di Speloncato. »
* Pietro PIZZINI: (dix-huitième siècle)
Notable de Speloncato. En Janvier 1732, à Calenzana il participe, avec les Naziunali, à la victoire sur les troupes austro-génoises.
En Mai 1769, après la défaite de Ponte Novu, avec près de 200 Balanini, il quitte L’Isula sur un navire anglais, et s’exile en terre ligure.
*1 Bénéfice : patrimoine, immobilier surtout, mais aussi mobilier, attaché à une église et dont les revenus assurent l’honnête subsistance du curé, l’entretien de l’église, les œuvres pieuses.
*2 falegname : littéralement « Qui fait le bois », donc ébéniste.
*3 Collatéral : c’est une nef latéral d’une église.
*4 Carignelli et I Bagni
Sources bibliographiques :
« Coups de plume variés d’un enfant de la Balagne » – Romulus CARLI – 1896
« Les églises baroques de Corse » – Nicolas MATTEI – 2000
« Speloncato de A à Z » – François MARIANI – 2006
« Cronica di a Corsica » http://oursjeancaporossi.club.fr/index.html
« Speluncato » – Antoine MASSONI – 1992
« Contributions aux recherches sur le chant corse» – 1992
- Polyph. Vocales et orgue. p. 233 et 244